PIERRE LAPOINTE : interview gueule d’ange double face

“Tant qu’à faire une dépression, autant la faire à Paris, c’est plus glamour ! Pierre Lapointe

Pierre Lapointe est un garçon charmant et un chanteur à l’humour bien trempé surtout quand il est dans son élément : la scène. Il n’hésite pas à annoncer d’entrée de jeu (cf son dernier concert à Paris, au Fnac Live 2015) : “ce sera très certainement le meilleur spectacle que vous aurez vu dans votre vie !” ou d’avertir un peu plus tard que : “souvent après mes concerts, les couples se déchirent.”
Côté coulisses, le trentenaire à la crinière maitrisée est plus sage et plus posé, exit le bermuda choisi pour son concert et place à un pantalon vert aux boutons légèrement décentrés. Original !

Revue de détails sur sa vie d’artiste trépidante, ses belles rencontres et son rapport à la scène. Interview.

 

Usofparis : Comment gardes-tu le rythme de la création, de l’écriture ? Parce que tu es très sollicité : participation à des shows télé au Canada, la promo de l’album, la tournée sur les deux continents.
Comment fait-on quand on est un artiste du XXIe siècle ?

Pierre Lapointe : Je ne sais pas trop …
Déjà, ce qui arrive, c’est que je travaille avec quelqu’un qui s’occupe des trucs de base, donc déjà ça aide. Et puis, en ce moment, je ne crée pas beaucoup. Je crée pour des trucs un peu étranges. Je fais une émission à la télévision nationale canadienne Stéréo Pop, un spectacle dédié à la musique. Je fais la direction artistique. J’ai co-signé le concept avec ma meilleure amie Claudine Prévost. Donc je finis par faire de la création mais c’est plus sur la direction, c’est plus de la discussion. En fait, je suis en train de créer un show qui n’existait pas il y a encore 6 mois. Donc c’est une création qui est plus proche d’un job de fonctionnaire (rires). C’est plus structuré que ce que je fais normalement, mais ça me va aussi de faire ça. C’est une super expérience.
Sinon, je n’ai pas écrit de chansons depuis un an. Non, ce n’est pas vrai. J’ai écrit depuis mais je n’ai pas eu le temps de vraiment figer les choses.

Pierre Lapointe portrait avant concert paris tristesse seul au piano au festival fnac live 2015 chanteur musique photo by united states of paris blog
As-tu besoin de t’isoler, une fois que toute activité est passée pour pouvoir créer ?

Non, je me laisse aller en fait et puis j’ai écrit beaucoup de nouvelles chansons assez rapidement, il y a déjà un petit bout de temps. Donc ça ne me dérange pas de ne pas créer en ce moment.
C’est par période de toute façon. Et puis je pense que plus tu travailles, plus tu es dans l’action, plus tu as des idées qui sortent. Et puis j’essaye de me garder dans cette optique-là.
Aussi, j’ai des projets qui vont m’obliger à créer. Je commence une collaboration avec Matali Crasset, designer française. Mais je ne peux pas en parler plus que ça pour le moment.

Qui a approché l’autre ?

C’est moi qui suis allé vers elle. Et puis, comme j’ai travaillé avec David Altmejd il y a 3 ou 4 ans, j’essaie de trouver des gens pour lesquels j’ai une grande admiration. Puis je me fais des stages d’observation de luxe avec des gens qui sont extraordinaires et qui sont des références dans leur propre domaine. Je le faisais déjà il y a 10 ans quand j’ai travaillé avec le collectif BGL qui aujourd’hui représente le Canada à la Biennale de Venise de cette année. A l’époque, ils étaient déjà connus, mais pas comme aujourd’hui.
Je me suis toujours appliqué à trouver des collaborations pour apprendre, pour  pas m’endormir, puis me trouver des contextes où je suis obligé de créer des objets sans préjugé par rapport à mes propres objets.

Mais ce sont des vrais challenges de collaborer avec des designers ? C’est une mise en danger ?

Non. Personne n’est dangereux ! (rires)
Je veux dire d’être dans quelque  chose d’un peu plus instable, plus improbable. C’est que j’aime aussi. Et puis je pense au spectacle Mutantès que j’ai fait en 2008, ça a donné naissance à des albums. Quand je pense aux clips que j’ai faits pour Punkt, ça a donné naissance à des chansons, les voyages que j’ai faits aussi. Faut juste se garder dans l’action.
Je n’ai pas pris le temps de me poser sur ce que je voulais dire dans les prochaines années. Mais je sais que je ne manquerai pas d’inspiration.

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Quels sont les mots de journalistes ou de blogueurs français qui t’ont touché pour décrire ton dernier album ou qui ont tapé juste sur l’esprit que tu voulais…. ?

C’est toujours délicat parce que j’ai lu de très belles choses, comme j’ai lu des choses très tristes à mon sujet. Je suis toujours dans la dynamique : si tu crois les gens quand ils te disent que tu es merveilleux, tu es obligé de les croire quand ils te disent que tu fais de la merde. Donc j’essaie de ne jamais lire les trucs et puis jamais rien prendre au sérieux.

Quel trait de ta personnalité ou de ton caractère est mis en évidence pour cette tournée ?

C’est les mêmes que d’habitude. Sauf qu’en apparence… J’ai joué un peu…
Punkt, ça a été une drôle d’opération aussi. Parce que c’est sur Punkt qu’il y a les chansons les plus tristes, les plus sombres que j’ai faites de ma vie. Les gens n’en ont jamais pris vraiment conscience parce que ce que j’ai fait, c’est foutre de la couleur. Et donc le public a enregistré que c’était un album joyeux, que j’étais plus lumineux qu’avant, que j’avais l’air mieux dans ma peau. Mais, en fait, il y a quand même une chanson sur l’infanticide, une chanson où une femme meurt car on est dans un trip sado-maso. Quand même des trucs assez sombres. Puis même dans Les remords ont faim, je veux mourir parce que je regrette trop. C’est quand même hyper dark ce que j’ai fait !
Et puis là, c’est un peu la même chose. Je reste exactement le même gars qui est toujours dans l’autodérision, qui déconne autant sauf que le disque ne laisse aucunement transparaître ça. Et donc ce qu’on va voir durant la tournée de Paris tristesse, c’est le même gars qui est sur scène quand il fait Punkt, c’est le même personnage. Une personne qui est dans l’autodérision, dans la légèreté après avoir été dans quelque chose de très introspectif et de très lucide. Parce que je pense que c’est une des choses qui qualifie bien mon travail, c’est que je suis extrêmement lucide. Et j’ai une façon de décrire les situations et la vie autour : beaucoup de gens n’oseraient pas se dire ces choses-là.
Ça ne veut pas dire que je ne suis pas capable de déconner et puis d’avoir du plaisir. Ça fait du bien de désamorcer aussi tout ça aussi. J’ai pris cette habitude-là quand j’ai commencé à faire ce métier, quand j’étais enfant dans la vie personnelle. Et là ça continue.

Qu’est-ce qui plaît autant au public français dans ta musique ou dans ton personnage ? Tu as eu des indices dans les contacts que tu as eus ?

Je fais la même chose au Québec. Ici, je n’ai jamais adapté.

Il y a un petit peu d’exotisme, quand même ?

Il n’y en a pas tellement quand je chante, car mon accent n’est presque pas là. Je pense qu’il y a une approche peut-être nord-américaine de la scène qui est très décoincée, très décomplexée. Je l’ai vu chez les gens qui étaient dans la génération juste au-dessus de moi : chez Daniel Bélanger, chez Jean Leloup et chez Dédé Fortin avec Les Colocs. On est sur scène et on essaie de faire de ce moment-là un moment naturel. Et puis, on a une façon nord-américaine aussi d’arriver sur scène.
Maintenant, je suis peut-être le plus français des chanteurs québécois. Donc je ne sais pas trop ce qui plaît, ce qui ne plaît pas.
Justement peut-être que je suis trop français pour aller chercher les grandes masses en France. Et puis d’un autre côté, je pense que je réponds à un certain besoin parce qu’il y a des gens dans les salles et que les gens sont intrigués par mon travail.

Quelle est la leçon de musique ou de scène que tu aurais pu apprendre au contact d’un autre artiste ?

J’ai vu énormément de spectacles. Ce que j’ai aimé en voyant ces spectacles, et avant même de savoir que j’allais faire ça de ma vie, c’était de voir des moments. Justement, un show trop placé, il n’y a pas de moment. D’être comme quand on est à table avec des amis. Il y a quelque chose de vivant, puis à un moment donné y’a une surprise qui arrive, y’a un malaise qui fait chier et la soirée tombe à l’eau. Puis, en contrepartie, il y a aussi des moments où la soirée peut être grandiose. Il ne faut pas penser à la soirée qui s’en vient avant de la faire, naturellement.
Et puis, il y a une chose que j’ai dû accepter : c’est qu’on ne peut absolument rien contrôler sur scène. Il y a des fois où on est totalement en possession de nos moyens et il n’y a rien qui marche. D’autres fois, on est totalement démoli et puis c’est le meilleur spectacle de notre vie. Ou encore, on pense qu’on a été merveilleusement bon et puis les gens dans la salle disent « il n’a pas été super ». Et des fois c’est le contraire.
Il ne faut jamais s’arrêter à ce que l’on vit sur le moment. Faut juste vivre le moment et accepter qu’on ne sera pas bon, qu’on ne sera pas beau et qu’on sera peut-être pas super attirant. Et puis ça s’est intéressant aussi de vivre comme ça aussi. Mais pour moi c’est aussi une façon de voir la vie. Point.

Mais tu n’as pas répondu à ma question…

Ah oui ! Eh bien à côtoyer des artistes comme David Altmejd, par exemple, qui est un sculpteur, avec qui j’ai fait un show à la Galerie de l’Université du Québec à Montréal, l’UQAM. 24h avant le début du spectacle, les billets s’étaient vendus (il claque des doigts) en 1 heure. J’avais fait plein de promo, parce que médiatiquement, c’est moi qui portais un peu le projet sur mes épaules, même si c’était vraiment un projet d’équipe.
Et puis 24 heures avant le spectacle, David ne savait toujours pas s’il y allait avoir un monolithe en plein milieu de la scène ou pas. On s’en foutait un peu ! Cet exercice-là était très formateur pour moi car je travaillais avec un sculpteur pour ne justement pas faire du spectacle conventionnel.
Je me suis mis un peu à paniquer en me disant « Merde, les gens qu’est-ce qu’ils vont en penser ? ». Et puis je me suis dit : « C’est ça le projet, ta gueule. Profites-en. On verra sur scène ce qui se passe.»
Voir des artistes qui sont dans d’autres disciplines qui sont aussi dégagés des codes, car il y a beaucoup de codes dans la musique, pour moi ça a été formateur. Et oui, juste de regarder des gens d’autres disciplines travailler, ça nous oblige à une remise en question par rapport à notre propre discipline. Je pense que c’est là que j’apprends le plus. Parce que des shows, je ne vais plus en voir tellement. J’en ai tellement vus que je me fais chier, en fait, la majorité du temps. Parce que je vois la référence, je vois à quoi les gens vont ressembler, je vois d’où ils sont partis. Et à un moment donné je finis par juste faire « bof !… ». J’ai une attention assez courte.

La chanson la plus triste que tu aimes toujours écouter ?

Il y a une chanson que j’écoute beaucoup en ce moment, mais ce n’est pas une chanson triste, c’est plus une chanson mélancolique : J’ai eu trente ans de Julien Clerc. J’écoute ça à répétition depuis une semaine. J’ai redécouvert cette chanson-là parce que je l’avais entendue pour la première fois quand j’étais adolescent. Je suis obsédé par la ligne mélodique très raffinée. Je trouve ça magnifique. Et puis ce qu’il dit… Il parle de son enfance, qu’il fait la paix avec son passé et puis qu’il passe à autre chose parce qu’il a 30 ans. Pour moi, cette chanson vient de tomber dans mon top 5 du moment. En fait, elle est en 1ère position !

Interview by Alexandre 

Pierre Lapointe Paris Tristesse pochette album spéciale Québec Audiogram musique

Pierre Lapointe

album Paris Tristesse
(Belleville Music / Audiogram)

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